Qualifiée de course la plus difficile au monde, l’épreuve, déjà devenue mythique après seulement 4 éditions, attire différents courants de vététistes. Qu’ils soient au départ de Combloux pour repousser leurs limites ou pour flirter avec le Mont Blanc, dans la tête de chacun résonne une même question : « jusqu’où ? ».

Dans la lignée de toutes celles et ceux qui étaient ce dimanche, au petit matin, sous l’arche rouge, j’étais perturbé par le parcours. Il est clair que les 7000m de dénivelé positif corrélés au 140km avaient de quoi laisser songeur.

Puis comme tous ces compétiteurs, ces curieux, ou ces fous, il fallait s’élancer sur les premiers hectomètres du périple.

En première ligne, le team de la MB race, Fred Frech en tête bien évidemment, là pour défendre son titre et ça couronne qu’il porte si bien depuis 3 ans mais aussi Antoine Socquet ou Stéphane Beau. On trouvait dans leur sillage Arnaud Rapillard, dauphin du Roi l’an dernier et bien décidé à prendre sa revanche. Venu avec son nouveau clan, les indiens d’Egobike, il se positionnait d’emblée à l’avant, entouré de Frédéric Gombert et moi-même.

A la différence de toutes les épreuves auxquelles on peut participer, le départ de la MB race provoque une sensation particulière où un doute s’installe dès le départ lorsque l’on se retrouve guidé par un soleil levant encore amical. La voie est ouverte sur cette première ascension, les coureurs les plus à même de jouer une performance se placent à l’avant et le rythme du début de course laisse aux plus audacieux la possibilité de faire quelques tours de roue en tête de paquet.

Les jambes sont fraîches, elles ne cesseront plus de se dégrader au fur et à mesure que l’on avancera sur ce profil dessiné au sommet de notre plaque de cadre…

La température à 6h du matin est des plus agréable, un temps radieux pour cette journée, mais chacun d’entre nous s’attend à subir le poids de cette chaleur qui viendra nous courber le dos plus tard dans la course.

L’heure est donc à la gestion, c’est le moment de s’échauffer tranquillement et de profiter du cadre enchanteur du massif dominant.

Ceci dit, une course est une course, marathon ou ultra marathon le ton va vite être donné et sans tarder monsieur Frech se positionne en meneur de troupes.

Comme il est courant de dire dans le langage cycliste, c’est par l’arrière que la sélection va commencer, et cette troupe va se réduire petit à petit sous les coups de pédales du leader.

Passé l’heure et demi de course, nous nous retrouvons à 3 en tête, Fred Frech, Arnaud Rapillard et moi-même. Une bosse très raide a fait la sélection, et en compagnie de ces coureurs expérimentés je ne sais pas vraiment comment agir. Accompagner, laisser partir et gérer… difficile de faire un choix, jusqu’au moment où tout se dénoue naturellement. Arrivé dans un portage Fred Frech nous laisse simplement avec nos questions, en quelques foulées le voilà parti et avec Arnaud nous nous retrouvons séparés.

Chacun pour soi nous produisons notre effort, un peu moins dans la gestion que mon coéquipier, et poussé par ma naïveté sur un tel parcours, je me lance à la poursuite de l’homme de tête.

Dans la descente il n’est pas si loin, 20 secondes au passage sur le premier ravitaillement, 40’’ après avoir graissé la chaîne et changé de bidons.

Effectivement les machines aussi sont à préserver sur ce format d’épreuve, la boue, les flaques, le soleil par-dessus, sont des facteurs qui nuisent au fonctionnement des mécanismes fragiles. Il faut être attentif au moindre problème et contrôler en permanence. Là était la force du Team Egobike, avec un staff présent sur la majeure partie des points de ravitaillements, des zones techniques salvatrices !

Reparti en selle, le single qui suivait la zone de ravitaillement m’était familier, en effet nous y étions passés durant le Roc des Alpes. Rendu piégeur par la boue recouvrant des dalles de schistes, j’y avançais en gérant, et Fred Frech était arrêté.

Victime d’une crevaison comme l’avait été un coureur de notre groupe pendant la manche des marathons séries, il allait perdre du temps, et je me retrouvais devant.

Une autre course commençait.

En tête, je ne savais plus vraiment quoi faire, l’homme qui était le guide incarné de cette course extrême était à terre pour un moment et sans informations sur l’arrière de la course il fallait prendre mes responsabilités. J’avançais alors à mon rythme, essayant de gérer l’alimentation au mieux et roulant sans entrer dans le rouge.

J’ai pris le parti, durant toute la course, de m’arrêter à chaque ravitaillement proposé par l’organisation. Sans savoir où j’allais dans un effort qui devait avoisiner les 11h, je préférais perdre du temps en m’arrosant, en perdant 1 à 2 minutes sur chaque poste, parfois à la surprise des bénévoles…

Les 5 heures de course étaient passées, le dénivelé s’enchaînait bien pour moi, puis le 70km pointait son nez. Olivier Brunaud, mentor du Team Egobike me donnait les directives, gérer, continuer, prendre du plaisir au moment où il venait et encaisser les passages à vide. Un peu de pizza avalée, la chaîne huilée et la mécanique contrôlée par Thomas Corvaisier , il fallait reprendre la route. Avec 8 minutes sur le second, Arnaud Rapillard, victime d’une crevaison, et 11 sur la 3ième place, l’idée restait donc la même.

Le soleil prenait alors un autre visage, nous devions maintenant nous en cacher, chercher l’ombre des arbres sur les pistes menant vers les sommets, une fois à découvert sur les crêtes il devenait accablant. La montée vers la « croix du christ » fut mon passage à vide, celle qui la veille me donnait envie car j’aime ce genre de profil, devenait ce moment qui me faisait perdre la motivation, la gagne… C’est là que le sport se vit, qu’il devient une valeur morale, l’espace d’un temps où on ne songe plus qu’à abandonner, où ne résonne plus que l’envie d’arrêter la souffrance pour revenir dans les instants plaisirs. Le mental se travaille ici, et le mien en a pris un coup ! Dans cette bosse j’ai vécu l’hypoglycémie, la défaillance, et me suis accordé le droit de m’arrêter dans un de ces filets d’eau qui traversait ces pistes brulantes. Pas vraiment la baignade estivale classique mais plutôt une phase de récupération où il fallait rafraîchir ce corps.

Repartir alors, continuer, depuis que j’avais pris la tête de course mon avance était confortable, et je n’avais jusqu’alors pas aperçu de concurrent en regardant les lacets en contrebas.

Encore un changement de course à cet instant, Arnaud revenait.

Fidèle à lui-même il avait mieux géré son avancée, lorsqu’il me rejoignit je pris soin de demander son conseil, lui qui connait ce genre d’épreuve, 2ième l’an dernier, habitué à ce type d’effort.

Dans ma tête le choix était fait, je ne pouvais pas finir le 140km en roulant dans cet état, pourtant il me conseilla de poursuivre, les autres coureurs étaient loin et comme il me le rappela, eux aussi pouvaient stopper.

Le charme de la MB race est là, le doute, être dans le flou en permanence.

Alors il me laissa là, poursuivant sa route. Je savais que je ne le reverrai pas, maintenant je ne pensais plus à gagner mais bien à finir.

Après la fin de bosse, puis cette longue descente vers le final du 100km, j’arrivais sur la zone au choix crucial. Gagner le 100km ou poursuivre sur le 140 en sachant que je ne reverrai pas le 1er, et que le podium était bien loin d’être acquis.

Tout mon corps me facilitait la tâche en m’obligeant à terminer, une partie de l’esprit aussi, puis un coin de la tête force à la douleur, une volonté qui se dissimule facilement dans la difficulté mais que cette fois les membres de la famille Egobike ont su réactiver. Thomas, Olivier, Mathieu, Arnaud Hacquard, ont trouvé je ne sais trop comment les mots pour que l’aventure, la vraie, continue.

Et me voilà reparti sur le profil diabolique de ma plaque de cadre que je fixais sans fin, alors que tout pouvait s’arrêter. En piste à nouveau, la course n’était plus vraiment plaisante, juste dure et compliquée mais les derniers kilomètres défilaient. Lentement on touchait au but, Arnaud Rapillard se dirigeait vers une belle victoire qui lui tenait à cœur, et pour ma part je maintenais l’écart sans trop craquer, avec l’idée de faire ce doublé pour le Team et au passage terminer sur la deuxième marche du podium de la MB race pour une première expérience sur un effort de ce genre avec en prime une victoire en espoir.

Après plus de 9 heures de course le 29’’ du Team, l’Amarok Carbon se maniait bien, sans aucun problème mécanique pour le moment, je l’ai poussé dans ses limites pour repousser les miennes et rallier au plus vite cette ligne si longue à voir venir !

S’en était terminé, il ne restait que la traversée du centre-ville et l’arrivée dans les stands.

Un des instants les plus fort depuis que je roule, en toute honnêteté le moment était à la fois puissant et soulageant, un mélange d’émotions véhiculé par les gens derrière la ligne, le speaker, les membres du Team Egobike, une bulle où tout ne devenait qu’une excellente satisfaction.

La MB race est une course unique, sans avoir vécu l’expérience il est délicat de comprendre le sentiment qui parcourt le corps fatigué à l’arrivée.

Clairement l’expérience est formatrice, riche à tout niveau et l’ambiance du podium en reflète parfaitement l’esprit.

Là le VTT marathon trouve un sens et vient se confondre avec l’esprit nature et montagne qui attire les disciples de ces aventures extraordinaires dans des terrains de jeux splendides.

Ne suffit plus qu’à remercier les bénévoles et organisateurs pour cette offrande et au passage le Team Egobike et ses membres qui incarnent eux aussi cette passion.

Rémi Laffont

À propos de l’auteur : GuillemetteP

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